Mamdani : le consternant prisme français
Modèle absolu pour les islamo-gauchistes de La France Insoumise, épouvantail communautariste pour le Kommentariat néo-poujadiste, le nouveau maire de New York, n’est rien de tout cela.
• • • La version bullet points :
• Les presse françaises et américaines ont une vision diamétralement opposée de Zohran Mamdani : l’une est obsédée par sa certitude d’un agenda islamiste caché, l’autre s’interroge sur ses capacités de maire.
• Dans la pratique, une partie de ses opposants d’hier (les 26 milliardaires qui ont financé les autres candidats), lui accordent le bénéfice du doute et proposent de travailler avec lui.
• En France, l’extrême-gauche ne voit pas que son programme est plus proche de la social-démocratie européenne que du totalitarisme d’Hugo Chavez.
• Mais sur fond d’une faillite journalistique généralisée, de supposées grandes plumes comme Caroline Fourest ou Franz-Olivier Giesbert en font un épouvantail jihadiste.
• • • La version Longue
Etonnante asymétrie transatlantique. Dans son immense majorité, la presse américaine ne voit pas dans l’élection de Zohran Mamdani l’imminence de la transformation de New York en Molenbeek ou en quartiers Nord de Marseille. Les questions qu’elle pose sont :
• Les promesses sociales du nouveau maire (crèches et bus gratuits, blocage de certains loyers, taxe sur les plus hauts revenus) sont-elles réalistes ?
• La fatwa de Donald Trump aura-t-elle raison des ambitions du nouveau maire, voire de son existence politique ?
• Et plus généralement, la percée de Mamdani préfigure-t-elle l’émergence d’un nouveau parti Démocrate, plus orienté vers Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ? (Ce sera le sujet d’un prochain Episodiqu.es).
Aux deux premières questions, la réponse des New Yorkais est : on ne sait pas, il faut voir et il faut donner sa chance au produit comme on dit dans le Sentier. Au contraire de la France où un ennemi l’est en général pour toujours, aux Etats-Unis, le pragmatisme l’emporte. Jamie Dimon, le président de la banque JP Morgan Chase (24 000 salariés à New York), croit plus que jamais en sa ville. Lui qui était critique de la plateforme de Mamdani et le qualifiait de marxiste, l’a appelé jeudi pour lui proposer ses services. Dans une interview à CNN au lendemain de l’élection, le banquier a clairement indiqué qu’il aiderait le nouveau maire à remettre d’aplomb la ville. Sur son inexpérience, il dit : “J’ai connu un tas de gens qui se retrouvent dans des jobs importants. Certains se révèlent à ces postes. D’autres pas. Il [Mamdani] est jeune, il va apprendre”.
Même Bill Ackman, neuf milliards de dollars de fortune personnelle, patron du hedge fund Pershing Square et ardent supporter d’Israël a tweeté :
Une bonne partie des 26 milliardaires qui ont fait leur possible pour battre Mamdani ont manifesté leur intention de travailler avec lui. Ces comportements n’ont rien d’angélique. Ils résultent d’intérêts bien compris. Personne n’a intérêt à nouvel effondrement financier de New York comme en 1975, lorsque la ville fut incapable de faire face à sa dette gigantesque : en dollars d’aujourd’hui, celle-ci serait de 66 milliards de dollars pour un budget actuel de 116 milliards. Hors de question de revivre ça. Par conséquent, les financiers jugeront sur pièce.
En France, les opinions sont faites et elles sont scellées dans la polarisation dominante. Le point commun des aboyeurs des deux bords est généralement de ne rien connaître à ce pays.
L’extrême-gauche anti-sioniste et antisémite de La France Insoumise veut y voir un grand soir. Par ignorance plus que par calcul, elle ne comprend pas qu’en Europe le programme DSA (Democratic Socialists of America) ne serait rien d’autre qu’un aimable agenda social-démocrate à la nordique : gratuité de l’éducation et de la santé, services publics solides et performants, exigence citoyenne (l’Etat t’aide si tu t’aides) ; pour le reste, pas question de toucher au business. Pour qui a travaillé en Scandinavie (c’est mon cas), la tolérance à la mauvaise gestion est ultra-mince. La gauche socialiste américaine est sur cette ligne. Pas sur celle de LFI ou des écologistes qui veulent en finir avec le capitalisme.
Du côté des néo-poujadistes médiatiques, ces derniers jours furent un festival sur fond d’effondrement journalistique.
Caroline Fourest a couru les plateaux pour justifier le portrait publié dans son journal Franc-Tireur, décrivant Mamdani comme proche des pires mouvances islamistes. Peu lui importe la juxtaposition de faits douteux, les interprétations scabreuses, l’absence de sources, ou la mise au même niveau d’une photo ancienne, d’un message de soutien d’un salafiste, ou la signification du deuxième prénom de Mamdani, Kwame, forcément un hommage à Kwame Nkrumah, sorte de Chavez Ghanéen. Ce genre raccourci rappelle la réaction de George W. Bush, alors fraîchement élu président, à qui un conseiller vient lui parler “d’un type de Chicago qui semble percer au sein du parti démocrate, un certain Barack Obama”. Bush junior sursaute “—Ossama !!??”, “—Huh, no mister President, it’s OBAma” ; plus tard, son second prénom, Hussein, se révèlera un argument de campagne largement exploité. Caroline Fourest n’a pas ménagé sa peine pour propager cette litanie — avec, il faut l’admettre, un brio convaincant. Peu importe qu’elle ait depuis longtemps largué les amarres du journalisme pour se consacrer à une autopromotion compulsive. Le filon Mamdani est trop beau pour le laisser passer. Et les chaînes d’infos françaises, à la fois myopes et fauchées, sont ravies de cette “bonne cliente” articulée et charismatique ; elles ne vont surtout pas se fatiguer à remonter à la source avec un envoyé spécial ou un pigiste sur place.
Mais le naufrage le plus spectaculaire est celui de Franz-Olivier Giesbert, ancien patron du Point — il y est encore éditorialiste — et auteur à succès. Mercredi matin sur l’antenne de Radio Classique, il évoquait le programme économique de Mamdani, le comparant à l’Algérie des années 60-70 de Boumediène. Évoquant une possible “nationalisation des cinémas, on ne sait pas trop…”, il poursuit : “...On est parti pour une vaste rigolade et pour payer son beau programme, il a prévu d’augmenter les impôts sur les riches, les entreprises et… les quartiers blancs…C’est dans le programme, les quartiers blancs…
— Il va faire de la discrimination fiscale ? interroge le journaliste David Abiker qui n’a aucune idée du programme du nouveau maire de New York
— Ah ben, y va pas se gêner ! C’est pas le plus grave, car cet homme est un islamiste, doublé d’un antisémite…” Et Giesbert de continuer sur le “candidat des wokistes et des féministes”. Avec des accents de Pascal Praud, le ludion réactionnaire de CNews, il enchaîne : “Cette évolution est un des symptômes du déclin de l’occident, et, il ne faut pas avoir peur de la dire, de la dégénérescence mentale d’une partie de nos élites, rongées par la haine de soi et le ressentiment. Car c’est homme-là, on voit très bien pourquoi il vient, c’est un proche des Frères mulsumans, il est ami avec des imams homophobes [Mamdani a capté 81% du vote homosexuel, mais peu importe], il y a des photos, des mots codés qui montrent qu’il est antisémite. Il répète ‘élisez-moi, je suis musulman’, en fait, non, il est islamiste”.
La vie de Zohran Mamdani a été passée au crible par la presse américaine, particulièrement new yorkaise, laquelle n’est pas exactement sous la coupe du Hamas. Son soutien à la cause palestinienne est connu. Tout comme celui ce sa femme, Rama Duwaji, qui, manque de bol, n’est pas invisibilisée par une abaya, mais est une artiste de 28 ans, syrienne-américaine (née à Houston), qui vit de son travail, et qui a connu son mari via une application de rencontre, comme des millions d’Américaines de son époque.
Quand à l’antisémitisme de Mamdani, il semble en tout cas céder le pas au pragmatisme. Il faudrait demander confirmation à des membres de son équipe : Morris Katz (son conseiller politique), David Axelrod, qui a largement inspiré sa stratégie de campagne comme il l’avait fait auparavant pour Barack Obama, Daniel Garodnick qui devrait garder son poste à la planification municipale — et qui est crédité d’être notoirement pro-business — , ou encore à Jessica Tisch, la cheffe de la police de New York, qui a fait baisser la criminalité dans la ville — et qui incidemment est l’héritière d’une des grandes familles juives du pays — Mamdani lui a demandé de rester à son poste. Il y a certes des figures suspectes comme Lina Khan, ancienne présidente de la Commission Fédérale du Commerce dans l’administration Biden (warning : c’est une musulmane, non pratiquante, aux racines pakistanaises)…
Le prétendu islamisme de Mamdani n’a pas été mis en évidence par des journalistes sérieux. D’autres enquêtes sont dans le tuyau, y compris des documentaires à gros budget. Trouveront-ils les preuves irréfutables d’un agenda secret ? Possible. Pour l’instant, tout ce qui fait le miel de ses opposants a été largement débunké.
De tout cela, des gens comme Caroline Fourest ou FOG n’en ont cure. Peut-être sont-ils plus à l’aise avec un JD Vance qui souhaite que son épouse Usha, hindoue, se convertisse au christianisme. Ces deux-là ont depuis longtemps déserté le registre des faits, de la prudence et même de la décence. Ils sont sur la ligne des papiers écrits avant toute investigation et des éditos en circuit fermé. Comme disent les Américains, “they smoke their own exhaust”. C’est grand drame de la presse française.
— frederic@episodiqu.es




