Pourquoi Zohran Mamdani a raflé New York
Le premier maire musulman de New York a recylcé le slogan de Bill Clinton “It’s the economy stupid”. Aujourd'hui, Mamdani incarne la réponse politique à une vie quotidienne devenue intenable.
• • • La version bullet points :
• Zohran Mamdani est devenu la nuit dernière le premier maire musulman de New York et, à 34 ans, le plus jeune depuis plus d’un siècle.
• A bien des égards, son élection rappelle celle de Bill Clinton en 1992, élu sur l’économie. Elle reprend aussi le mode opératoire des campagnes d’Obama avec une présence systématique sur le terrain et une légion record de volontaires.
• La partie n’est pas gagnée. Trump va déployer tous les moyens possibles pour saper le mandat du nouveau maire, dans une rivalité qui promet d’être brutale.
• • • La version Longue
Tout juste une semaine sépare l’élection du premier maire démocrate -socialiste de New York et l’inauguration du nouveau siège de JP Morgan, un gratte-ciel à 3 milliards de dollars, ode à la puissance de la première banque américaine. On ne pouvait imaginer symbole plus parlant des deux New York : celui, encore bien vivace, de la finance et de la tech, et celui qui a fait gagné Zohran Kwamé Mamdani, né il y a 34 ans à Kampala (Ouganda), aujourd’hui le premier élu avec l’étiquette “démocrate socialiste” de la ville dont il est aussi le plus jeune maire depuis 1913.
L’élection de Mamdani n’est pas sans rappeler celle de Barack Obama en 2008 et celle de Bill Clinton en 1992. Dans les deux cas, un candidat charismatique et relativement jeune (respectivement 47 et 46 ans) déployait une énergie insensée pour aller convaincre leurs électeurs dans les districts les plus reculés, le tout avec des campagnes modernes et ultra réactives ; celle de Mamdani a mobilisé un nombre record de 104 000 volontaires qui ont passé 4 millions d’appels et frappé à plus de 3 millions de portes.
En 92, le conseiller politique de Clinton, James Carville, avait un soir griffonné d’un trait rageur le slogan de campagne : “It’s the economy, stupid”.
Cette année-là, Mamdani avait un an.
Par instinct ou par opportunisme politique (les deux ne sont jamais loin), Mamdani a fait campagne sur la vie quotidienne des classes moyennes new yorkaise qui n’en peuvent plus de l’économie absurde de cette ville.
Voici quelques exemples.
• Aujourd’hui, une famille comportant un pompier, un fonctionnaire ou un infirmier, ne peut pas envisager de vivre à Manhattan, et même plus dans certains quartiers (boroughs) comme Brooklyn. Le loyer médian à New York approche les 5000 dollars par mois. Le logement connaît une crise sans précédent avec une tension sur l’offre jamais vue depuis 50 ans.
• Les New Yorkais paient leur café 6 dollars, dépensent en moyenne 26 000 dollars par an pour mettre leur enfant à la crèche, une hausse de 40% en cinq ans.
• Pour les employés du tertiaire, c’est la double peine : non seulement ils habitent de plus en plus loin — beaucoup font le trajet depuis les Etats voisins — mais les transports publics sont un enfer avec un métro toujours plus délabré. Quant aux bus censément rapides qui viennent des boroughs, ils coûtent 7 dollars par trajet.
• Incidemment la fiscalité, tant pour les entreprises que pour les ménages, est plus élevée que partout ailleurs dans le pays. Dans certains cas, ils doivent s’acquitter d’un impôt municipal et d’une taxe de l’État de New York (auxquels s’ajoutent évidemment les impôts fédéraux). La catégorie des 1% comptant pour plus de 40% de revenus fiscaux. Et pourtant l’État de NY reçoit plus d’argent de Washington qu’il n’en reverse à l’Etat fédéral — une situation qui va considérablement compliquer la tâche de Mamdani.
• Et pour parachever le tout, l’emploi s’effondre. Au premier semestre New York a créé moins de 1000 emplois dans le secteur privé, contre… 66 000 pour la première moitié de 2024. Du jamais vu en vingt ans, hors périodes de récessions.
La réponse du nouveau maire promet d’être radicale. Il veut geler les loyers, rendre le bus et les crèches gratuites et imposer un salaire minimum à 30 dollars de l’heure (~4800 dollars par mois), soit un quasi doublement par rapport aux actuels 16,50 dollars et quatre fois plus que le minimum fédéral de 7,25 dollars (en vigueur au Texas par exemple). De quoi déclencher l’ire des classes les plus aisées et des employeurs de la ville qui dénoncent l’irréalisme de ce programme.
Mamdani est-il dangereux ? A entendre les droites américaines et européennes, il incarnerait une sorte de cinquième colonne islamo-gauchiste. A la veille de l’élection, même la twittosphère française s’enflammait pour propager cette menace. Même le magazine Franc-Tireur, vigile en chef de l’extrême-gauche islamiste, dressait un portrait d’un Mamdani comparable à une Rima Hassan. Cela n’a aucun sens. La gauche incarnée par Zohran Mamdani n’est en rien comparable à La France Insoumise. Certes, il est opposé à la guerre à Gaza, mais, au contraire de LFI, il n’est ni antisémite, ni anti-sioniste et défend le droit d’Israël à exister (sans cela il n’aurait pas rallié une bonne partie du vote juif de New York). D’ailleurs il ratisse dans tous les milieux comme le montre cette intéressante carte du New York Times (en bleu les votes Mamdan, en jaune, ceux d’Andrew Cuomo).
Pour offensif qu’il soit, le nouveau maire promet de favoriser l’accès au logement “sans punir les propriétaires”, et se dit ouvert à des aménagements sur sa taxe de 1% visant les millionnaires qui doivent lui permettre de financer sa folle prodigalité. On verra jusqu’où va son pragmatisme.
Parmi les procès les plus persistants est celui de l’incompétence (Mamdani siège à l’Assemblée de l’Etat de New York). Argument classique. Il suffit de se rappeler ce que les Républicains disaient de Barack Obama en 2008 (“Comment ?! Un community organizer à la tête du pays, raillait Rudy Giuliani, ancien maire de New York). Nul doute que le nouveau maire, comme Obama, saura s’entourer. D’ailleurs son staff de campagne puise largement dans l’ancien état-major de l’ex-président.
Quelles sont les chances de réussite ? Elles sont objectivement faibles avec un Trump à la Maison-Blanche qui va le gratifier de sa haine vigilante. Le président républicain a quasiment promis de lui faire la peau. Politiquement s’entend ; d’autres seront tentés de lui réserver un sort symétrique à celui de Charlie Kirk — la sécurité de Mamdani est un gros sujet pour la police de New York.
Les moyens de rétorsions de l’exécutif de manque pas : gel des crédits fédéraux (cela a commencé), raids de l’ICE (la police de l’immigration), de facto la milice fédérale de Trump, ou encore le déploiement de la Garde Nationale — autant de mesures qui sont largement illégales, mais cela, le président n’en a cure.
La nuit dernière lors de son discours de victoire, Mamdani a prévenu Donald Trump : “To get to any of us, you will have to get through all of us”. La guerre entre New York et Washington ne fait que commencer.
frederic@episodiqu.es




